vendredi, mai 13

[Sortie] La Saisonnière



On a remis ça, une quatrième fois. Aucune raison valable de s'en priver. Quelle erreur aurions-nous là commise !

Le restaurant fait sans conteste partie des endroits où nous préférons nous retrouver après une semaine laborieuse et gonflée de sollicitations diverses et (a)variées. D'emblée, en découvrant les lieux, nous avions trouvé là dynamisme, professionnalisme, respect, sympathie, passion, autant d'éléments indispensables à un service de qualité et pourtant tant de fois laissés de côté dans nombre d'établissements qui « prétendent ».

À la carte, après plusieurs expériences, il ne fait aucun doute qu'il y a ici une cohérence ; les intitulés peuvent être peu ou prou divisés en deux catégories : les plats qui rappellent la cuisine d'antan, la goûteuse, la gourmande, la carnée, celle du terroir, celle qui mijote, celle qui crépite ; et les préparations plus « débridées », vraisemblablement nées de l'inspiration du chef, parfois confectionnées à partir d'éléments présents dans les plats de la première catégorie, parfois issues d'un autre monde culinaire, plus exotique. Outre ces catégories, plusieurs plats (et même un menu) ont été imaginés spécialement pour les végétariens et les personnes présentant des intolérances ou souffrant d'allergies.

Au reste, il n'est pas non plus nécessaire de trop creuser pour se rendre compte d'une attention certaine apportée au détail sans que cela passe pour un excès de raffinement racoleur.

Un exemple ? Plusieurs me viennent à l'esprit, mais je vais me cantonner à celui que je viens d'avoir le plaisir d'ajouter à la liste et dont les saveurs me marquent encore allègrement les récepteurs gustatifs... Vous allez rire, vous gausser, vous moquer, que sais-je encore, mais il s'agit « tout simplement » d'un vol-au-vent. Cependant, avant de me décerner le prix du meilleur critique de cantines d'école, prenez le temps de lire la description suivante que je souhaite la plus fidèle qui soit :

Au centre d'une large assiette noire est déposé un feuilleté ne ressemblant en aucune manière aux terrifiantes croustades profilées et étouffe-chrétien d'un autre siècle. Ici la forme est irrégulière, et le chapeau ressemble à tout sauf à l'horrible coiffe papale que les tambouilleurs de fast-foutre ne prennent parfois même pas la peine d'extraire du cylindre-mère avant d'y déverser leur louche de mélange grisâtre.

Entre ce feuilleté et son sommet, se trouve la pièce maîtresse : une sauce ni trop épaisse ni trop liquide qui hume bon le bouillon, vous savez, celui dans lequel sont censés cuire pratiquement tous les éléments du vol-au-vent, à commencer par la volaille même. Et parlons-en de cette volaille, outre le fait qu'il s'agisse de poule bio comme le rappelle intitulé, il va sans dire qu'elle est dûment représentée : les morceaux sont nombreux, les fibres se détachent souplement et sans effort, signe d'une viande qui a cuit longuement et sans contrainte, et que dire de ce goût bien présent, de loin supérieur au caoutchouc hydrogavé que l'on peut acheter en pack familial et à moitié prix chez XXX !

Que dire de plus ? Des petites boulettes de viande savoureuses et relevées, des champignons de Paris frais coupés épais pour plus de texture et enfin des bâtonnets de carottes parfaitement cuits (sans doute au bouillon ?) et qui gardent une identité aromatique certaine, malgré un ensemble déjà bien parfumé et parfaitement assaisonné.

En pratique, ça se passe comme ça : d'une pirouette habile, vous saisissez de votre fourchette un peu de feuilleté, un morceau de volaille, un champignon au passage, un segment de carotte, le tout enrobé de sauce, et vous dégustez : croustillant (le feuilleté au bon goût de beurre est à tomber), moelleux, végétal, gourmand... On en redemande ! Heureusement, l'assiette est fort bien garnie.

Après avoir raclé les dernières micro-traces de sauce (oui, je sais, ça ne se fait pas, mais je suis mal élevé, surtout quand ça s'impose), nous posons les armes, non sans faire part au serveur de notre réelle appréciation. Celui-ci, visiblement enthousiasmé, nous parle spontanément des produits utilisés et de leur provenance, de la volonté de tout faire maison ; un potager est même sur le point d'être mis en culture à l'arrière du restaurant. La discussion est intéressante et souligne une impression : la Saisonnière recherche le vrai et va dans la bonne direction.

Et puis vient déjà l'heure de partir. En voiture, nous passons devant d'autres établissements, très nombreux et tous ouverts. Il y a là des restaurants asiatiques à volonté, des pizzerias, des restaurants grecs. Sur les parkings, les voitures abondent, les gens sortent, s'enlacent, s'embrassent, s'encanaillent. C'est vendredi, veille d'un week-end prolongé... Et pourtant, malgré cette affluence, cette liesse palpable autour de nous, nous avons la conviction, peut-être subjective (quoiqu'on en doute vraiment) et très certainement égotiste d'avoir vécu une expérience unique : nous avons mangé ici le meilleur vol-au-vent que nous ayons eu l'occasion de goûter. La bouchée à la reine a le vent en poupe ; que les courageux prétendants au trône s'avancent et se préparent à échouer dignement.


 À vous de goûter !

samedi, avril 30

[Papilles aux aguets] Gambas bio entières crues surgelées Food4Good


Un dimanche après-midi. Une sieste post-digerum. Un réveil semi-bilieux d'occidental droit dans ses tongs. Une extension de bras tranquille. Rééducation lente d'un corps éprouvé. Quelques pressions de doigt savantes pour un sésame social. Facebook et un message sérieux, comme rarement, qui hélas sent l'urgence mais flaire aussi tout à fait bon la générosité : les frigos et congélateurs d'un magasin bio de la région ont, bien malgré eux, failli à leur tâche pendant trop longtemps cette nuit ; qui le souhaite peut venir récupérer les produits de son choix à titre gracieux.

Nous voilà donc, panier dehors, à récolter plusieurs produits que nous connaissons et d'autres encore inconnus : beaucoup trop de denrées pour une absence totale de contrepartie, beaucoup trop peu au regard de ce qui demeure dans les armoires froides. Rien de ce que nous prenons ne serait jeté, tofu qui s'en dédit !

C'est donc le lendemain que nous est venue l'idée d'une recette plutôt simple, imaginée dans le seul but de s'empapiller légèrement les idées tout en rendant honneur au produit « sauvé » la veille. Comme nous découvrions le produit, inutile de partir dans un délire topcheffien névrotique. Les gambas bien bleues et souples ont été simplement débarrassées de leurs carapaces, têtes et pattes respectives et réservées une demi-heure à température ambiante avant la cuisson. Pour les accompagner, du quinoa blond cuit lentement à l'eau et une sauce simple à base de tomate, de champignons de Paris frais et de basilic.

Pour les gambas, nous avons suivi les conseils de préparation repris sur l'emballage : une cuisson brève à feu vif dans une bonne huile d'olive, et un peu de fleur de sel après cuisson, étant donné que les gambas n'en contiennent pas en excès, contrairement aux produits « similaires » vendus dans la grande distribution.

Quelques mots relatifs à l'expérience de dégustation desdits crustacés : fraîcheur, craquant, tendreté, iode, couleurs vives, saveur, hors du commun (de ce commun triste auquel nous avons trop été habitué et pendant trop longtemps...)

Alors certes, le prix est plus élevé, mais, dans ce cas précis et pour une telle qualité qui ne fout pas majoritairement le camp en flotte douteuse en milieu de cuisson, je peux prétendre, à ma petite échelle et à mon humble avis, qu'il est justifié.

Je ne ferai pas ici l'énumération des nombreux engagements tout à fait honorables de la marque ; un petit tour sur le site Web sera sans doute bien plus intéressant pour tout le mode :

http://www.food4good.fr/

Merci au magasin Bio Corner's d'Enghien pour la découverte !

À vous de goûter !

dimanche, août 23

[Ce soir...] Noix de Saint-Jacques snackées, beurre blanc au paprika, fenouil farci






De l’eau, du sang, de la sueur, des larmes, du pinard, de la bibine, de la gnole et j’en passe ont coulé sous les ponts (ces enjambées massives déposées nonchalamment sur mes derniers mois, et qui n’ont eu de cesse de m’engourdir non pas les tressautements créatifs de ma petite carcasse blanchâtre, mais bien les velléités exhibitionnistes desquelles je me rends gaillardement de nouveau coupable, en vers et contre vous, mes chers et fidèles détracteurs détraqués) depuis que je ne me suis plus pourléchamment épanché sur une énième expérience mary-shelleysque réalisée à quatre mains cette fois-ci et avec le concours de quelques ingrédients succupuleusement sélectionnés.

Qu’avons-nous donc commis de concert (à défaut de commis de cuisine) en ce samedi 22 août de l’an de (dis)grâce 2015 par une soirée estivalement indescriptible (ben oui, on était à l’intérieur, nous, comment auriez-vous voulu qu’on sache ?!) où les beuglements pseudo-civilisés de l’extérieur ne nous atteignaient plus qu’avec peine, tant nous avions érigé nos habituelles murailles d’indifférence expérimentée ?

Je vous le dis Tourette et sans insulte auCUne, rien ne nous haBITE plus que la fantaisie et la volonté de nous exprimer à nous-mêmes (et tant pis pour les autres !) au travers d’ébauches de sagesse fanfaronnes qui fait bobo la routine. Rien de bien sérieux donc au programme, juste une mêlée d’idées diablement entichées l’une de l’autre… !

Sur la cène, nous avons : quelques noix de Saint-Jacques  (disons quatre ou cinq par personne), des bulbes de fenouil (comptons un pour deux s’ils sont gros ou un par personne dans le cas contraire) dont vous n’ôterez que la base (pas d’émasculation excessive, non mais !), une tranche de pain sec (rassis diront les moins tolérants), 10 cl de lait, 1 œuf (pour 2 petits fenouils), une bonne poignée de pecorino râpé, du sel, du poivre, un godet de vin blanc, une larme de vinaigre, une échalote, du paprika et moult beurre (car comme dirait mon cousin germain : « Y faut baratter ta recette, mein Freund ! »).

Du classique naît l’hérésie. Un certain Pablo du Pinceau, virtuose dans l’art des bouillons-cubes n’avait-il pas proféré un jour qu’il fallait maîtriser les règles pour mieux les transgresser ?! Je vous le demande… 

Ici, les règles sont simples : une cuisson vapeur des demi-bulbes de fenouil dont l’intérieur sera ensuite soigneusement prélevé et mixé avec l’œuf, la tranche de pain trempée dans le lait, le lait résiduel, du sel, du poivre ; la mixture sera ensuite replacée dans les demi-bulbes creusés. Quelques pincées de pecorino râpé par bulbe farci et on enfourne à 180° pendant un petit quart d’heure.
 À présent, on ricane moins, on décroise les paluches ; va falloir se la jouer Vishnou toqué et réaliser trois préparations minutes en moins de temps qu’il n’en faut pour zapper sciemment quelque émission socio-culturelle de chaîne privée de fin d’après-midi diffusée quelque part entre le bain du petit et les nouilles trop cuites. Tout d’abord, lancer un beurre blanc : émulsion chaude instable par excellence, il s’agit d’incorporer rapidement du beurre froid découpé en cubes à une réduction de vinaigre blanc et de vin blanc (comptez 1/4-3/4) ponctuée d’une échalote hachée (préalablement suée au beurre, dans notre cas) et de poivre moulu. Une fois la sauce montée au fouet, ajoutons-y une petite cuillère à café de paprika et les pluches de fenouil hachées menu. Et comme rien ne se perd, la deuxième de ces préparations consiste en la cuisson à l’huile d’olive des tiges des fenouils découpées en rondelles, assaisonnées d’une pincée de sel. Enfin, dernier geste des plus académiques, la cuisson reine des Saint-Jacques : un passage d’une minute sur chaque face dans un beurre noisette très chaud  afin d’obtenir une coloration idéale et une concentration en goût maximale, tout en conservant une tendreté suffisante et une belle couleur nacrée des chairs. 

Après, comme toujours, il faut présenter la chose. Nous, on a visé le classique : la sauce ne dévalant toutefois pas trop loin des demi-fenouils, avec lesquels elle fera de belles et joyeuses secondes noces, sans pour autant vexer la Saint-Jacques, déjà succulente en elle-même, animée de quelques rondelles de tiges de fenouil sautées et légèrement amères.

Et puis, arrosez cela comme il se doit : un bourgogne blanc de caractère (un chablis qui se respecte, un givry de bonne facture…), un riesling d’outre-Rhin bien aromatique…

À vous de goûter !

mercredi, mars 18

[Sortie] 44, rue des Fripiers



Que dire, que dire ! Que dire, sinon glorifier la nouvelle Capitale européenne de la culture, éphémère éloge de tentatives vaines de métamorphose hélas illusoire.

La joie est dans les rues, la liesse est sur les tables ! Mons 2015 voudrait aussi briller par son terroir de bouche. C'est écrit.

Alors plongeons-nous, immergeons-nous dans cette euphorie populaire d'un temps. Pour notre repas entre frères (prévu pour des raisons Vraies et un moment résolument authentique, en revanche), nous visons le 44, rue des Fripiers, adresse assez connue située en plein cœur du centre-ville montois.

L'ardoise aux intitulés peu complexes mais alléchamment droit-au-butistes ainsi que l'épure plutôt traditionnelle du lieu nous appelle à découvrir l'endroit. Seuls (pour commencer) dans la petite salle, nous sommes accueillis aimablement.

Et c'est à cet instant précis que germe, dans la tête de votre humble serviteur à l'estomac chantonnant, le premier d'une série d'intrigants points d'interrogation.

« Vous désirez un apéritif ? Un verre de vin ? » s'enquiert la décidément très sympathique serveuse. Étant donné le concept originel de l'établissement (un bar à vins qui a voulu voir « plus grand ») et au vu des différentes bouteilles exposées en salle, la deuxième proposition mérite que l'on s'y attarde...

« Vin blanc ? D'accord, je vous apporte ça tout de suite ! »

Mais encore ? Sans pour autant vouloir connaître la couleur des charentaises de rechange du bénévole saisonnier qui a accepté de gambadouiller entre les ceps au moment des vendanges pour empoigner les plus nobles grains, le client serait peut-être en droit de recevoir un peu plus de précisions sur le liquide clair non identifié déposé maintenant sur sa table. Cependant, ne jugeons pas trop vite, car cette inconnue peut parfois permettre de belles surprises non influencées par la connaissance d'un joli nom ou d'une charmante étiquette. Cette objectivité plutôt rare conjuguée à mon infinie subjectivité m'a donc permis de m'exprimer : un porto lambda serait peut-être mieux passé.

Soit ! Peut-être cette « soupe de légumes verts au curry » pourra-t-elle me faire oublier ces quelques sulfites dispensables ? Si l'ensemble est simple et correct, le doute plane de nouveau quant à la nature de ladite mise en bouche. Est-il si honteux de causer cerfeuil ? D'énoncer le cas du poireau ? D'évoquer l'existence d'une fane quelconque ? Certains ne se gêneraient pourtant pas pour balancer du poivron en février... Quoi qu'il en soit, l'incertitude demeurera, tant le curry prend le dessus, sans excès néanmoins, car la mixture est plutôt plaisante.

C'est alors que nous sommes de nouveau confrontés aux mystérieuses et sibyllines bibines... Pour poursuivre cette petite étude de cas qui m'intrigue assez bien, je continue en blanc. Quelle sentence laconico-cryptée qui dépassera peut-être mes compétences minables de petit client médiocre vais-je là recevoir ? Avec quelle pique de quelle verbe énigmatique vais-je pouvoir empaler mon « hareng ultradoux et son moelleux de pommes de terre » ?

« Vin blanc ? On va plutôt partir sur le Sud alors. »

Le Sud, bon... Merci Nino, merci Ninette... Mais serons-nous au sud du Sud ? Tout en bas, quelque part au pays de feu Nelson ou ailleurs, comme au milieu d'un coteau chilien ? Ou bien au sud de Mons, soit pratiquement toute région viticolement exploitable en ce bas monde ?... J'en finis par déduire, en décodant le message, que nous serons dans le bas de l'Hexagone, ce qui nous laisse malgré tout encore pléthore de choix...

Mais je ne m'avoue pas vaincu, et dans une ultime tentative de percer je ne sais quel mystère, je m'attaque au rouge. À vrai dire, si je pense avoir reçu une vague information sur ce que contenait mon verre, le souvenir que je garde de la dégustation ne m'a tellement pas marqué que mon cerveau a dû finir docilement par faire le tri, gentil garçon.

Bon ! Qu'en retenir, qu'en retenir ? Pas que du vague, pas que du doute, heureusement. Si l'entrée se voulait très simple, elle n'en restait pas moins goûteuse et bien dressée. Par ailleurs, la cuisson de la généreuse pièce de viande chevaline de qualité qui a suivi était bien maîtrisée et le dessert, malgré trois poils qui venaient le ponctuer, a rempli son contrat chocolaté. Suite à ce dernier incident, nous avons d'ailleurs eu l'occasion de prendre une consommation supplémentaire aux frais de la maison. Vous me diriez que ça va de soi, je vous répondrais que, de nos jours, on n'est plus sûr de rien ! Un dernier conseil : pour éviter toute déception, n'allez pas au 44, rue des Fripiers en pensant y découvrir des breuvages, à moins que vous ne connaissiez le sésame pour que l'on vous apporte une carte des vins digne de ce nom et de la cave que l'on semble nous vanter sur la carte de visite de l'endroit.

À vous de goûter !

lundi, mars 2

[Sortie] Vilaine Fille, Mauvais Garçon






Il est de ces jours où l'ordinaire répandu, le communément admis, le médiatisé contractuel... où le déversé lucratif, en somme, ne semble plus du tout tourner rond. Contre toute attente, des questions germent : la bave de ces deux trentenaires stéréotypés déjà bien bedonnants et démissionnaires d'une famille à peine éclose, ce liquide donc, cette excrétion visiblement pavlovienne, en bref, provient-elle de l'alerte sonore du générateur d'instantanéité à ondes sur le point de dégueuler deux proies prêtes à gober ou de la perspective d'engouffrer de l'inédit tout chaud, de l'hybride finement étudié, savant mélange de pizza archiplate et de burger ultramou que ces prédateurs dans leur sofa-savane pourront allègrement absorber sans gaspiller une miette de l'énergie consacrée au suivi d'une bonne quarantaine de jarrets en activité sur fond de gazon vert HD et de chants bovindicatifs. 

L'heure donc de mettre les voiles vers une chapelle où l'on nous conterait que l'éplorée gastronomie, en chair et en chère, n'est pas tout à fait déchue, pas encore un rite du passé.

L'épure est désormais au restaurant ce que l'iPhone est à la main gauche moite d'un ado gourd. Encore faut-il savoir maîtriser la chose... Là où nous pénétrons, l'objectif semble d'emblée atteint, grâce à une note d'originalité issue d'une pénombre bien maîtrisée qui favorise l'intimité des tablées et dont les seules rémissions mettent en lumière les assiettes présentées. Les assiettes, parlons-en ; après une commande prise tout sourire, une petite bouchée servie sans exagération ni fausse note nous donne le ton. Ce sont des rillettes de tourteau accompagnées d'un pesto de wasabi qui nous stimulera les papilles une première fois : goût, fraîcheur, couleurs, inédit, simplicité exigeante... Voilà la trame.

C'est alors qu'arrive le véritable début des réjouissances : cinq noix de Saint-Jacques snackées au piment doux antillais accompagnées de quelques tronçons de salsifis tendres et juteux à souhait sont nappées d'une crème de Muscat légèrement sucrée et - grande surprise ! - surmontées par un effiloché de queue de bœuf très savoureux mais dont la coupe un peu épaisse et le manque de tendreté (sur certains morceaux) perturbent un rien la finesse globale du plat.

Impatience, impatience... Nous sirotons un verre de l'excellent Pessac-Léognan blanc choisi par nos soins pour nous accompagner tout au long de la dégustation. Et nous voilà délivrés de l'attente : notre carré d'agneau désossé en croûte de comté et d'ail nous parvient. La tendreté de la viande n'a d'égal que sa saveur. La cuisson « rosé » demandée est parfaitement respectée et la croûte tient superbement tête à la viande sans la dominer. S'il y avait un bémol à noter, il porterait sans doute sur les accompagnements : certes, le goût des aubergines grillées (pas de saison, hélas) estompait parfaitement l'a priori de fadeur dont souffre souvent injustement ce légume, mais c'est l'absence totale de féculent, même en proportion réduite, et la quasi inexistence de la mousseline de shiitake, pourtant bien présente dans l'intitulé qui nous ont quelque peu déçus.

Nos desserts eux non plus ne manquaient pas de panache : du chocolat très bien traité sous forme de sphère et de moelleux, très justement accompagnés tantôt d'une crème au citron et d'une succulente meringue au safran, tantôt d'une glace crème brûlée et d'un crumble de cacao. Tout vilains garnements que nous sommes, nous voulions poursuivre l'expérience autour d'un thé. Quelle ne fut pas notre très agréable surprise de voir arriver (dans les mains d'un énième serveur - nous en aurons eu au moins quatre sur l'ensemble du repas, une affluence qui pourrait déconcerter) un coffret labellisé Harney & Sons (marque que nous affectionnons). Hélas, le point final de notre repas fut marqué d'une sécheresse assez oubliable : deux muffins-éponges finalement plutôt fades auraient bien mieux fait de rester en cuisine. Soit, au vu de ce qui a précédé, nul besoin d'effort pour oublier cette faiblesse.

Et nous voilà déjà dehors... Difficile de se réhabituer à la lumière naturelle et au réel qui court les rues. Dur de se dire qu'une fois rentrés, le danger nous guettera, celui, bien insidieux, de voir de nouveau, entre deux jingles, une ménagère vernie et maquillée déverser une brique de soupe forestière surmoulue dans un très incongru poêlon en cuivre, afin de contenter son mari de composition bourru, tout droit revenu du jardin, où il ne semble pousser que des pâquerettes, étant donné l'air satisfait et soulagé de l'affalé masculin.

Mais soit, nous dirons que notre fuite en aura valu la peine...

À vous de goûter !

mercredi, février 4

La quiche « Tout est oublié »




La cuisine a cela d'unique qu'elle peut fédérer les plus inassociables individus. Le vaniteux bobo de banlieue et le provincial le plus rural pourront ainsi, sans trop de postillons hostiles, s'échanger les Francfort d'une commune choucroute ou s'échauffer de concert devant un pot-au-feu bâclé. Une puissance remarquable en soi.

Cette quiche ordinaire ne porte un nom que depuis dix minutes, soit depuis que m'a traversé l'esprit la notion d'« emblème ». À cet égard, je me suis interrogé sur le frelatage quasi systématique de symboles contemporains par l'Homme, lui-même et son grand H.

J'ai ainsi notamment songé aux manifestations selfie-simiesques sur les grandes artères, aux achats intempestifs d'exemplaires de l'« objet du crime » vert subversion (jadis pourtant à l'agonie et écartelés de controverses) au service de la postérité personnelle et non de l'Avenir (aussi incertain qu'il puisse être), et aux minutes de silence alors qu'il aurait fallu gueuler.

Aussi, quelques semaines après ces concentrations majoritairement constituées de faux lecteurs (mais aux vrais sentiments grégaires, pardon !) - même pas embryonnaires - d'un canard hélas désormais servi saignant, moi, je fais... une quiche.

Une quiche pour un hommage dont la flamme s'est visiblement éteinte avant même la première bougie.

J'aurais pu être cent fois plus culinaire, plus technique, plus utile... Mais j'ai préféré de loin proposer une ripaille du souvenir Vrai, sans larme ni lueur d'un soir. Pour se rappeler qu'un beau jour une bande de rigolos se sont pris plus qu'une tarte dans la gueule pour quelque chose d'un peu moins fédérateur et réconfortant qu'une quiche.

Alors, bavons peu, baffrons bien, mangeons juste. Au retour de deuil de « Liberté d'expression »  la morte ; vieille peau blette et trébuchante d'un siècle révolu ! À la naissance peut-être d'une irrévérence douce, soit le mépris intelligent de tout système obligeant l'Homme !

À vous de goûter !

P.-S. Si le cœur vous en dit : cette quiche se prépare de manière traditionnelle. Une pâte brisée maison (si vous êtes un fidèle, vous saurez où vous rendre), un appareil à quiche traditionnel (œufs, crème, sel poivre) auquel vous ajouterez un chèvre frais et des poireaux vapeur. Je vous laisse rectifier le reste.